Un Contrat Avantageux
(Auteur : Jean Coz. Analyse effectuée fin 2008)
En février 2008, M. LEFEBVRE, président de la Communauté d’Agglomération de Cergy-Pontoise(CACP) a présenté à la presse la nouvelle délégation de service public de l’eau confiée, à nouveau, à partir de janvier 2009 pour 18 ans à Véolia-Environnement au travers de la Société Française de Distribution d’Eau (SFDE). Il exprimait sa satisfaction d’avoir négocié un contrat avantageux pour les usagers de l’agglomération :
– une exploitation unique pour les 12 communes (contre 9 entités auparavant),
– un programme d’investissements de 47 millions d’euros H.T., à la charge du délégataire,
– une tarification unique en baisse moyenne de 13,41% sur une facture de référence de 120m3/an (valeur juillet 2007) pouvant atteindre ponctuellement 33%(Eragny), voire37%(Saint-Ouen l’Aumône).
Concrètement, le service de l’eau devrait desservir à l’échéance de 2026 un tiers d’usagers en plus (44 358 contre 33 759 en 2009) avec une eau achetée pour les deux tiers à l’extérieur. Il sera exploité par une société dédiée (créée sous l’appellation de CYO) de la SFDE au capital social de 10 000 euros et adossée aux moyens techniques et financiers du groupe Véolia pour assurer le fonctionnement et les investissements du réseau. A cet égard, la nouvelle délégation s’apparente plus à une concession qu’à un affermage d’antan.
Le contrat est complété par de nombreuses annexes comme le programme des travaux et des comptes prévisionnels. S’il avantage les usagers par la baisse annoncée, l’analyse montre qu’il favorise aussi les intérêts bien compris du délégant et du délégataire.
I. Les avantages du délégant.
A l’inverse d’une régie directe qui l’aurait complètement impliqué, la présente délégation exonère le délégant des contraintes
– de la gestion du fonctionnement technique et financier du service de l’eau,
– de la maîtrise d’ouvrage, de la réalisation et du financement des travaux neufs, des travaux de renouvellement et de grosses réparations du réseau.
Cette tranquillité est complétée par des avantages financiers. Le délégataire devra payer au délégant:
– une redevance annuelle révisable d’occupation du domaine public de 0,21 euro H.T. par mètre linéaire de canalisation (642 404 mètres en 2009),
– une redevance annuelle révisable de 110 000 euros H.T. pour frais de contrôle,
– diverses pénalités conditionnelles pour interruption de la distribution d’eau (1euro par abonné et par heure), pour retard dans la production de rapports, la réalisation de travaux… (1000 euros par jour de retard)
– des reversements éventuels correspondant à l’inexécution totale ou partielle des travaux prévus qui entraînera une baisse des tarifs ; l’usager ne sera pas cependant remboursé du trop perçu, lequel sera encaissé en totalité par le délégant ;
– un pourcentage de 20% des sommes dépassant 300 000 euros H.T. chaque année, facturées par le délégataire au titre des prestations annexes rendues grâce au télérelevé.
Enfin, le délégataire devra encaisser gratuitement les redevances dues au délégant par les usagers (redevances communautaires eau, assainissement…) et lui remettre gratuitement les compteurs en fin de contrat.
Ces avantages représentent une charge pour la SFDE qui l’a intégrée dans les prix de vente de l’eau.
II. Les intérêts du délégataire.
Dans le cadre de la nouvelle délégation de service public, la SFDE aura la charge d’assurer, contre une rémunération des usagers, le fonctionnement et les investissements (contractuellement imposés) du réseau d’eau potable de l’agglomération de Cergy-Pontoise.
Le contrat de délégation est appuyé par des données prévisionnelles (comptes d’exploitation, bilan, tableau emplois-ressources…) couvrant les 18 années d’exploitation. Ces données sont établies valeur juillet 2007, date de la négociation de la délégation de service public de l’eau. Elles montrent que le résultat avant impôts (1 304 357 euros) qui atteint 9,70% du chiffre d’affaires de 2009 (13 470 322 euros H.T.) va aller décroissant et descendre plus sensiblement à partir de 2019 et plonger même à 1,40% du chiffre d’affaires prévisionnel en 2026, dernière année du contrat. Cette philanthropie n’est qu’apparente parce qu’au fil des années le chiffre d’affaires va nécessairement augmenter sous l’effet combiné des révisions tarifaires et peut-être aussi de la progression prévue de 30% du nombre des abonnés.
L’examen du contrat et des comptes prévisionnels permet de mesurer l’intérêt de cette délégation pour le groupe SFDE- Véolia.
1- La durée du contrat est excessive : pendant 18 ans le délégataire encaissera chaque année un bénéfice conséquent à l’abri d’une remise en question par la concurrence ou l’éventualité d’une régie directe. Les investissements portant sur les travaux neufs (17,5 millions d’euros), qui par nature auraient pu justifier une telle durée, pouvaient donner lieu à d’autres modalités d’amortissement. Celles-ci auraient permis d’aligner la durée du contrat sur la norme 10 ou 12 ans recommandée par la Cour des Comptes ou encore le Conseil Economique et Social…
2- Les investissements comprennent un programme de travaux neufs d’un montant de 17,5 millions d’euros à réaliser avant fin 2013 et un programme de travaux d’entretien et de grosses réparations d’un montant 29,9 millions d’euros à réaliser sur les 18 années du contrat, cette dernière valeur devant être actualisée pour chaque fraction annuelle par le jeu de la formule de révision au titre de l’évolution des conditions économiques. Le délégataire doit les réaliser et les financer en les intégrant comme charges au compte de résultat : sous forme de charge d’amortissement à caractère fixe pour les travaux neufs et sous forme de charge d’exploitation classique pour les travaux d’entretien et de grosses réparations à hauteur de la valeur réalisée chaque année.
Les travaux peuvent être réalisés par le délégataire ou par d’autres entreprises qui appartiendront, il est fort probable, au groupe Véolia. Le contrat prévoit que les prix sont établis librement, sans obligation de mise en concurrence préalable, et intègrent la marge de rémunération. Si celle-ci est du même niveau que le taux de bénéfice avant impôts du service de l’eau prévu en 2009, à savoir 9,70%, elle devrait entraîner pour le groupe un profit annuel, valeur juillet 2007, de l’ordre de 250 000 euros environ pendant 18 ans.
3- La rémunération des comptes courants d’associés de la SFDE et du groupe Véolia figure dans les comptes prévisionnels du délégataire (158 193 euros en 2009, 454 684euros en 2013, 127 056 euros en 2020, par exemple).A ce propos, les comptes prévisionnels montrent que le délégataire va financer le fonds de roulement et les investissements par la mobilisation de ces comptes courants d’associés, le crédit « fournisseurs » et quelques autres dettes à court terme.
4- Les frais de sièges (régional et national) comptabilisés en charge s’échelonnent de 345 840 euros en 2009 à 454 414 euros en 2026 et progressent donc en volume.
5- Le délégataire doit racheter, au début du contrat, les compteurs au précédent exploitant, c’est-à-dire à la SFDE, c’est à dire à lui-même, pour une valeur de 752 500 euros, amortissable dans ces charges.
6- Pour approvisionner le réseau, le délégataire est tenu de donner la priorité à la production qui ne représente que le tiers de l’eau distribuée et de se fournir pour les 2 tiers restants à l’extérieur. Ses fournisseurs sont en l’occurrence le SEDIF (groupe Véolia) et la SFDE Meulan-Gargenville. Pour cette dernière, le contrat de délégation rend obligatoire l’application d’une convention d’achat d’eau en gros, en date du 24 septembre 2001. Autrement dit, le délégataire est, là aussi, son propre fournisseur à des prix que l’on n’imagine pas déficitaires. Le montant prévisionnel des achats s’élève à 5 117 000 euros en 2009 : en extrapolant, sur la base du bénéfice avant impôts de la présente délégation (9,70% en 2009), le groupe Véolia gagnerait, à ce titre, 500 000 euros environ chaque année, mais ceci ne reste qu’une supposition , cependant probable.
7- Le contrat oblige le délégataire à investir (sectorisation, débitmètres…) pour améliorer le rendement du réseau de 3 points en 9 ans (diminution des fuites) et cet avantage d’exploitation est déjà intégré dans les tarifs de départ sans diminution de prix au fur et à mesure de la mise en place de ces investissements.
8- L’obligation d’équiper les compteurs en télérelevé va procurer au délégataire des gains de productivité lors des relevés, améliorer sa trésorerie par une facture trimestrielle, et non plus semestrielle, et générer des recettes spécifiques pour services particuliers rendus(270 651 euros prévus en 2009).
9- En devenant trimestrielle, la facturation va faciliter la trésorerie du délégataire, alléger les frais financiers, induire des produits financiers et diminuer le besoin en fonds de roulement. Ceci ne constitue pas un mince avantage.
10- La formule de révision paramétrique du prix de l’eau et des services payés par les usagers a un caractère composite qui tient compte de l’évolution des volumes d’eau facturés et des conditions économiques.
Le prix de l’eau comprend l’abonnement, progressif selon 24 tranches de consommation annuelle, et le prix du m3 consommé. Les prix initiaux (valeur juillet 2007) sont les suivants :
– l’abonnement s’échelonne de 30 euros H.T.(consommation de 150m3) à 5200 euros H.T.(consommation supérieure à 45 000m3). La progressivité pourrait inciter les usagers qui consomment 150 m3 et plus (un tiers des usagers actuellement) à réduire leur consommation pour bénéficier d’une réduction tarifaire.
– le m3 consommé est fixé à 0,9650euro H.T.
La révision de ces prix est trimestrielle sur la base d’au moins 2 relevés par an dès 2009, sans attendre la date d’achèvement de l’équipement des compteurs en télérelevé prévu en 2013.
La formule de révision a la particularité de prendre en compte l’évolution de la consommation globale et de conférer au présent contrat un caractère « d’assurance tous risques » : si elle devait baisser, hypothèse cependant peu réaliste, cette baisse serait compensée par une hausse tarifaire qui maintiendrait le niveau des recettes à hauteur de 100% pour l’abonnement et de 30% pour les volumes facturés. En sens inverse, dans le cas de figure plus vraisemblable d’une progression de la consommation globale, l’usager bénéficiera d’une baisse tarifaire calculée et imputée dans les mêmes conditions. A titre d’exemple, une hausse de 10% des volumes consommés entraînerait une baisse de 4% environ de la facture d’un usager consommant 120m3 d’eau par an, ce qui constitue un avantage intéressant pour l’abonné.
Par contre la prise en compte de l’évolution des conditions économiques devrait plutôt favoriser le délégataire.
Les valeurs initiales et finales des indices seront des valeurs connues et non réelles des mois considérés, publiées par une revue professionnelle (Le Moniteur des Travaux Publics et du Bâtiment) et non par les revues officielles.
La formule de révision comporte une partie fixe de 0,15 trop faible qui, comme par le passé, risque d’induire un glissement des prix supérieur à l’inflation. Il n’est pas certain qu’elle permette de corriger la dérive constatée dans l’exécution des contrats qui s’achèvent en 2008 où les formules de révision ont entraîné, par exemple entre 2004 et 2008 sur Cergy-Pontoise des hausses supérieures de 50% en moyenne à celle de l’évolution de l’indice général des prix à la consommation. Une telle distorsion paraît anormale sur de longues périodes car l’entreprise délégataire, même à l’abri de la pression de la concurrence, a sûrement le souci de maîtriser ses coûts afin de maximiser ses profits. Lorsque elle parvient à aligner l’évolution de ses charges sur celle du coût de la vie et que le jeu de la formule de révision contractuelle lui procure une hausse de tarif supérieure de 50% comme entre 2004 et 2005, elle réussit alors à gonfler, au fil du temps et des révisions tarifaires, son taux de bénéfice par rapport au chiffre d’affaires ; dans ce cas de figure, ce dernier augmente d’un point par tranche de hausse contractuelle de 3%.
Par ailleurs et à un autre titre, ce même taux de bénéfice avant impôts va croître en raison du caractère fixe des charges d’amortissement des travaux neufs qui représentent 9% environ du chiffre d’affaires. Par exemple, une augmentation contractuelle de 10% de ce dernier entraînera mécaniquement une majoration supplémentaire de 0,9 point du taux de bénéfice avant impôts.
Ainsi, pour tenir compte des particularismes du contrat liés à la prise en charge des investissements, des bénéfices escomptés, des frais fixes et des gains de productivité, la partie fixe devrait être portée au moins à 0,30, au lieu de 0,15, afin de permettre à la formule de révision de refléter plus correctement l’évolution des coûts et de mieux prévenir la dérive inflationniste du prix de l’eau.
Si elle reste à 0,15, la baisse des bénéfices avant impôts inscrite par le délégataire dans ses comptes prévisionnels sera très rapidement compensée, pour les années considérées, par les hausses tarifaires issues du jeu de la formule de révision.
11- Les révisions des tarifs par avenant sont prévues par l’article 49 du contrat. Elles sont classiques et doivent prendre en compte les modifications de l’économie du contrat de délégation qui apparaîtraient au bout de 5 ans, à tout moment en cas d’inexécution et ou modification des travaux programmés, de hausse des prix de l’eau supérieure à 20%induite par le jeu de la formule de révision, d’une variation de 20% des volumes vendus…Il faudra faire confiance au délégant, en l’incitant à contrôler avec rigueur l’exécution du contrat et à faire valoir au mieux, dans ces négociations périodiques, les intérêts des usagers.
12- L’encaissement des rémunérations et redevances diverses, autres que l’eau, figurant sur les factures d’eau donnera lieu à une convention d’encaissement fixant la rémunération de ce service (40 511 euros prévus en 2009). A ce titre, le délégataire pourrait être conduit à se les facturer à lui-même ou à une entité de son groupe comme, par exemple, pour le traitement des eaux usées par l’usine de Neuville-sur-Oise. Par contre, au vu d’une clause contractuelle sibylline, le délégant semblerait bénéficier de la gratuité pour la perception des redevances lui revenant au titre des prestations d’assainissement rendues en régie. Le délégataire disposera de ces sommes pendant 5 ou 6 mois avant de les remettre au délégant. Il s’agit là d’un avantage de trésorerie non négligeable.
III. Les attentes des usagers.
Le présent contrat de délégation de service public de l’eau a l’inconvénient de faire payer aux abonnés par anticipation la charge d’investissements à venir, ce qui ne serait pas le cas dans le cadre d’une régie directe ou d’un contrat du type affermage où les prix n’augmentent en principe qu’après la réalisation des travaux, c’est-à-dire après service fait. Cette particularité lésera l’usager qui déménagera dans 2 ou 3 ans et qui paiera dès 2009 des prix comportant une part correspondant à des investissements qui ne le regarderont en rien.
En contrepartie du niveau des prix qui lui sera imposé, l’usager est en droit d’attendre un service de qualité et une rigueur dans le contrôle de l’exécution du contrat de délégation afin d’éviter des dérives contraires à ses intérêts. Par exemple, la progression des consommations au fil des années et l’inexécution des investissements aux dates indiquées doivent se traduire par des baisses de prix mais aussi, selon le cas, par des remboursements de trop perçus.
Par ailleurs, les usagers concernés pourront réduire leurs factures en jouant sur les abonnements à prix progressifs selon les tranches de consommation supérieures à 150 m3 et en usant de la possibilité de passer dans les immeubles collectifs au compteur individuel. Enfin pour ceux qui seraient concernés, le fonds de solidarité de 50 000 euros sera utilement mobilisé.
Le nouveau contrat de délégation du service public de l’eau de l’agglomération de Cergy-Pontoise, conclu pour 18 ans, ne sera pas sans conséquences, au plan financier, pour toutes ses parties prenantes et il est probable que d’aucuns auraient préféré que les instances communautaires choisissent d’assumer la gestion du service de l’eau en régie directe ou de limiter la durée contractuelle.